Bonne année ! J’ai réalisé récemment (presque par accident) en rangeant d’anciens magazines qu’avec ce mois de janvier 2018 cela fait précisément 25 ans que j’écris des articles dans la presse (traitant, pour une bonne partie d’entre eux, des comics). C’est en effet dans USA Magazine #66 qu’est paru mon premier article crédité. En fait, j’avais « secrètement » écrit deux ou trois articles avant ça, vers 1991/1992. Ma mère était journaliste et se retrouvait parfois obligée à faire des articles sur des groupes de rock, genre qui n’était pas spécialement sa tasse de thé. Dans ces cas-là, je la dépannais et j’écrivais à sa place les articles en question. Ni elle ni moi ne pensions vraiment que j’allais finir par basculer dans l’écrit. A l’époque je vivotais comme illustrateur et écrire pour la presse ne faisait pas « partie du plan ». On me remettrait les articles en question sous le nez que j’aurais du mal à les reconnaître. Fin 1992, David Fakrikian (futur rédacteur-en-chef de DVDvision et HDvision), qui tient une chronique sur les sorties de comics dans les pages d’USA Magazine (dirigé par Fershid Bharucha), est obligé de laisser tomber pour différentes raisons. Et il me propose alors de prendre la relève. Je vous parle d’une époque où même les modems 56k sont une vue de l’esprit. Alors je me suis retrouvé à envoyer texte et images sur une disquette, comme un bout d’essai, sans savoir si cela ferait l’affaire, si le texte serait retenu ou si je n’allais pas simplement être doublé par un éventuel autre candidat. Pour autant que je me souvienne, je n’en ai réentendu parler que des semaines plus tard, quelques jours avant la sortie du numéro, quand David m’a appris que ma chronique allait bien paraître.
Rétrospectivement deux choses sont ironiques. Je ne m’en suis rendu compte que dernièrement, en ressortant le numéro. D’abord la rubrique s’appelait Comics U.S.A. (du nom de la collection d’albums que Fershid publiait par ailleurs). Et il se trouve que, deux décennies auparavant, le premier livre que j’avais lu sur les comics et leur histoire n’était autre que… Comics U.S.A., du français Marc Duveau (je vous en recause dans quelques instants). Ensuite, il y a le fait que je signais alors Reivax Fournier, « Reivax » étant un métaplasme de « Xavier » mais aussi, en fin de compte, un surnom et une signature que je me trainais depuis la Quatrième. Sans doute que si, à l’époque, je m’étais mis en tête de faire carrière sérieusement dans la presse j’aurais directement commencé avec mon prénom en bonne et due forme. Même dans l’écriture de cette chronique, cette signature me rappelle à quel point la presse ne m’apparaissait pas comme un plan de carrière. Et puis le numéro est paru et j’ai commencé à me prendre au jeu. Finalement USA Magazine s’est arrêté au numéro double #68/69. En tout et pour tout je n’y ai donc signé que trois chroniques mais le sort était jeté. USA Magazine n’existant plus, j’ai commencé à écrire, en parallèle d’un passage dans la presse quotidienne régionale, un tapuscrit sur les comics qui est essentiellement le noyau de Super-Héros : l’Envers du Costume, tapuscrit qui m’a valu d’être ensuite recruté dans Comic Box. Même si, comme je l’écrivais, il existe quelques articles fantômes publiés avant, USA Magazine #66 est non seulement ma première chronique créditée mais aussi ce qui m’a réellement mis le pied à l’étrier. Et paf, longtemps plus tard, voilà donc ce qui marque mes 25 ans de carrière dans la presse, soit la moitié de ma vie…
Comme tout cela se passait par correspondance, je n’ai rencontré « en vrai » Fershid Bharucha que six ou sept ans plus tard. Quand j’ai commencé à le remercier pour m’avoir plus ou moins permis de démarrer, il a pris un air gêné en faisant non de la tête : « Tu comprends, si j’accepte une part de responsabilité pour ce que les gens ont fait de bien grâce à l’influence d’USA Magazine, alors ça veut dire qu’il faudra que j’accepte aussi une part de responsabilité pour ce que des connards ont pu faire en se revendiquant de l’esprit du mag. Alors je préfère accepter ni l’un ni l’autre. » Pour les mauvais esprits qui se poseraient la question, Fershid et moi continuons de nous faire un restau de temps à autre, je ne tremble donc pas trop en me demandant dans quelle catégorie il me range.
Il y a une autre ironie en ce début 2018. Des années après avoir lu le livre Comics U.S.A. de Marc Duveau puis après avoir tenu une rubrique Comics U.S.A. en 1993, j’ai vu arriver l’auteur du livre sur le pas de la porte du bureau de Comic Box. Je vais le dire comme je le pense : le livre de Duveau, jamais réimprimé depuis 1975, a été amplement désossé, cannibalisé par des vagues successives de chroniqueurs culturels qui s’improvisaient experts… tout en faisant pratiquement de la reprise mot-à-mot (au mieux de la périphrase) pour reprendre des passages entiers de ce que l’auteur de l’ouvrage avait pu dire sur un Ditko ou un Green Lantern. Et c’est « pratique » pour mettre de la poudre aux yeux à un public plus jeune qui n’a jamais vu passer le livre d’origine. Un jour donc, Marc Duveau arrive dans les locaux de Comic Box. Il s’avère qu’il est lecteur fidèle du magazine et on passe un bon moment à parler du travail des uns et des autres. Je l’ai croisé quelques fois depuis, notamment lors d’une conférence à la médiathèque Persépolis, en 2013, où j’ai eu la surprise de le voir dans le public (j’en avais parlé ICI). Son livre étant paru en 1975, avant l’apparition des « nouveaux X-Men », il ne couvrait donc que les quatre premières décennies d’existence des comics. Quand on lui parlait de le rééditer, Marc Duveau lui-même était prompt à dire que, dans l’état, Comics U.S.A. était trop périmé, qu’il aurait fallu le réécrire, rajouter toute une partie sur ce qui s’était produit depuis.
Un jour de 2015 cependant, j’ai eu la surprise de voir arriver un mail de l’intéressé. Il y avait réfléchi et il se sentait d’écrire une version mise-à-jour, enrichie. Seul « petit problème », le premier éditeur à qui il en avait parlé n’était pas intéressé par les ouvrages sur la BD. Machinalement, je lui ai mis en rapport avec Rodolphe Lachat d’Huginn & Muninn, l’éditeur de mes livres sur les super-héros français, dont il était évident qu’il ne craignait pas, lui, les livres sur la BD. Et puis je n’en ai plus guère entendu parler et je n’ai pas trop osé remettre le sujet sur la table, craignant que le contact ai fait chou blanc pour une raison quelconque. Et puis à l’automne 2017, au détour d’une conversation avec les gens d’Huginn & Muninn, j’apprends qu’une nouvelle mouture de Comics U.S.A est en chantier, parution prévue début 2018. Et même qu’on me demande d’écrire une sorte de postface pour la quatrième de couverture. Au passage j’ai donc le droit de lire l’ouvrage reformulé et d’en retrouver la richesse. Marc Duveau, c’est le premier français qui s’est enquiquiné à écrire un vrai livre sur les comics. Maintes fois imité, cela reste un « taulier », un pionnier de la reconnaissance des comics en France, même si, par la force des choses, 43 ans plus tard, une grosse partie du public le méconnaît forcément.
J’aime bien l’idée d’avoir été un grain de sable, un micron, dans le processus, d’avoir simplement donné une adresse qui a fait mouche. Mais loin de moi l’idée de m’en attribuer une quelconque part de responsabilité. Non pas pour éviter les « connards » potentiels dont parlait Fershid (encore que, son raisonnement se tient) mais plus simplement parce que si l’affaire ne s’était pas concrétisée, je ne serais pas en train de me dire que je suis responsable de la déroute. Il n’y a pas à se taper sur la poitrine à faire partie d’un processus quand ce sont les autres qui font le job. Peut-être que c’est un peu, à sa manière, ce que voulait dire Fershid. En définitive si je vous raconte tout cela, ce n’est pour du « Moi, je… » mais pour 1) pour vous dire de ne pas manquer la nouvelle édition « plus plus plus » de Comics U.S.A. et 2) remercier David Fakrikian, Fershid Bharucha et Marc Duveau d’avoir fait partie de l’itinéraire qui m’a poussé à écrire pour ce numéro d’USA magazine paru en janvier 1993. Promis les gars, je suis entièrement responsable des éventuelles conneries que j’ai pu écrire par la suite. Mais sans vous je n’écrivais pas le reste ! Alors merci et bonne année à tout le monde…
J’ai trouvé le Duveau * il n’y a pas très longtemps et c’est clair que s’il y a des manques (les origines, Kirby) et des erreurs (ah, le realisateur d’American Graffitti), j’ai été soufflé par la pertinence du bouquin. Sur Ditko, les EC Comics , Eisner et le Silver Age de DC Comics, c’est imbattable. Une version révisée, c’est une très bonne nouvelle.
* C’est la marque des bouquins de référence, ça, quand on le nomme par son auteur. Comme il y a le Jennequin et le Gabilliet, il y a le Duveau.
Merci pour tous ces commentaires. Désolé pour American Graffiti, j’avoue que je ne sais pas d’où venait cette coquille malséante, American Graffiti étant un de mes films culte.Mais à l’époque on travaillait à la machine à écrire, ensuite le texte était saisi, et je n’ai jamais vu les épreuves avant de voir le livre imprimé..
Il ne faut pas être désolé. Les coquilles, ça arrive. C’est surtout marrant de voir qu’à l’époque, on pouvait laisser passer ça. C’était avant Star Wars… Ça n’enlève rien à votre travail qui est toujours fondateur. Entre ça et les anthologies fantasy chez Presses Pocket, je suis extrêmement admiratif de votre boulot et très pressé de commencer cette nouvelle version de Comics USA.