Exil

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J’aime bien l’Histoire. Et j’aime bien, aussi, l’Histoire relativement contemporaine, celle qui parait si proche que bien souvent des gens pensent qu’elle n’a rien à nous apprendre (j’en ai déjà parlé ici pour un album comme les Croquignard). L’Histoire récente (c’est à dire remontant à peine à 3 ou 4 générations) parait moins baroque, moins haute en couleurs. On ne peut pas tricher sur la taille des épées, on ne peut rajouter des dinosaures ou des diligences… Tout juste la culture collective admet-elle les codes d’Hollywood. Le jour du débarquement, l’attaque de Pearl Harbor… Ce qu’on a bien voulu porter au cinéma. Sorti de là il y a des sujets entiers qui disparaissent des mémoires, dont on parle peu ou pas dans les médias. La Guerre d’Espagne, par exemple, à mon avis ça ne parle pas beaucoup à la majorité de l’opinion française. A un moment on a juste fermé les yeux et on s’est efforcé d’oublier qu’on partageait une de nos frontières avec une dictature. Si bien que lorsque la dictature est tombée, la plupart des gens (en dehors de ceux directement concernés) n’ont pas jugé utile de s’interroger. Allez chut, circulez, l’Histoire est passée… Et pourtant l’Histoire récente a ceci de particulier qu’elle a bien souvent une résonnance personnelle.

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Un jour, les auteurs de la BD Exil (Fabuel et Minguez, tous les deux coscénaristes et le second s’occupant des dessins) ont demandé à leurs grands-parents et parents ce qu’ils foutaient-là, de ce côté de la frontière avec l’Espagne. Et là, ils ont ouverts la boite de Pandore, celle qui nous attends tous quand on réalise que les deux ou trois générations qui nous ont précédés ne sont pas qu’un magma un peu flou où les gens n’avaient pas la TV couleur ou la 3G. La génération des grands-parents s’est prise plusieurs guerres dans la figure, excusez du peu. Pas des guerres façon Hollywood, avec Gary Cary Grant ou John Wayne qui se relèvent en criant « même pas mal !« … Des vraies, vues, vécues, ressenties comme telles, quand l’Histoire brasse des vies. Au tout début d’Exil, il y a deux personnages qui se prennent un peu le bec. Ils sont en train de fuir l’Espagne et l’un d’eux prend des photos. L’autre le trouve frivole mais le photographe dit une phrase qui résonne comme un méta-commentaire : « Je fixe l’Histoire. On doit laisser des traces !« .

ExilLa version courte ? Les grands-parents des auteurs étaient des républicains espagnols et, à cause de Franco, ils ont été obligés de traverser la frontière et de venir en France. Mais ça c’est la version courte, tronquée, résumée. La vérité, elle, a besoin d’un peu plus d’intimité. Pas quelque chose qui respirerait l’impudeur mais quelque chose d’honnête, d’authentique, qui raconterait les turpitudes d’amoureux de la démocratie qui quitteraient une dictature pour arriver… dans un endroit où on ne les attend pas spécialement à bras ouverts. Exil, c’est devenu un projet lourd, chargé… Il y a (déjà) quelques années de cela, après l’avoir entamé, Jean-Marie Minguez s’est retrouvé obligé de partager (le pauvre), les mêmes locaux que moi et à supporter mes blagounettes tandis que lui galérait, portait en image l’histoire de ses grands-parents et de leurs contemporains. Autant dire que j’étais à cinquante centimètres du bonhomme pendant qu’il accouchait de ses planches pas toujours dans la douceur.

Donc je peux témoigner : La réalisation d’Exil est devenue une saga en elle-même qu’il ne m’appartient pas de raconter ici (vous n’avez qu’à aller demander à Jean-Marie sur son propre site, après tout), quelque chose qui tiendrait presque du documentaire « Lost in la Mancha » pour ceux qui connaissent. Parfois l’album a paru perdu dans la tourmente. Et puis c’est Jean-Marie Minguez lui-même qui a vécu un ou deux « exils » d’un autre ordre (et plus heureux) alors qu’il se déplaçait à travers l’Europe. Mais, à travers les emmerdes et les distractions plus joyeuses, il s’y est tenu. Il l’a fait. Il a « fixé l’Histoire », transposé un témoignage. Au point parfois qu’il s’est demandé si cela pouvait intéresser des gens pas Exilconcernés par ces évènements. Après lecture je peux le rassurer. Dans le contexte actuel de l’édition de BD, sortir un album revient déjà à un exploit. Reste, après, à se faire connaître à travers les traquenards d’un tirage et d’une distribution parfois aléatoires. Je ne peux pas vous raconter l’histoire de Jean-Marie à sa place mais si d’aventure vous passez dans une librairie BD, donnez un coup d’œil à Exil (sorti ces jours-ci chez Vent d’Ouest). Oui, c’est un pote et mon humble avis sera forcément suspect. Mais faîtes-vous votre propre idée. Vous verrez : C’est une BD au ton authentique, qui ne mérite pas de passer inaperçue…

PS: Et sinon, si vraiment l’Histoire vous laisse de marbre en général, Jean-Marie Minguez doit bien avoir quelques exemplaires qui traînent de son superbe Artbook

1 réflexion sur “Exil”

  1. Très beau texte et très belle bande dessinée que je recommande autour de moi.
    Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse de l’œuvre ici présentée. Dans le doute, on ne court aucun risque à ouvrir l’album pour se faire une idée.
    Bravo aux auteurs d’avoir su se livrer avec cette poignante élégance qui les illustre.
    Par ailleurs, je me permets juste de souligner une erreur commune que j’ai pu noter : « Gary Grant » n’existe pas. C’est soit Cary Grant, soit Gary Cooper.

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