Le 24 mai prochain Toonami diffuse le Règne des Super-Héroïnes, un documentaire que j’ai co-réalisé avec Fred Ralière et qui est tout… sauf un « boulot de commande ». En fait on pourrait dire que ce truc s’est imposé à nous et qu’en retour, on a fait avec les moyens du bord tout en entraînant de plus en plus de gens dans notre folie. Je vais essayer de vous raconter le racontable mais il y a des choses que de toute façon vous ne croiriez pas (Désolé, ce post va être assez long mais je ne vois pas de manière de raconter cette histoire sans raconter un certain nombre de choses dans leur ordre d’arrivée).
1979 : Je me souviens précisément quand j’étais gamin la première fois où j’ai tiqué sur un récit de super-héroïne en me disant qu’elle n’était pas traitée comme ses collègues et que c’était bizarre. Avant ça, bien sûr, j’avais déjà été dévasté par la mort de Gwen Stacy dans les aventures de Spider-Man ou suivi Jean Grey chez les X-Men. Mais une héroïne autonome dans les traductions VF de l’époque c’était une rareté. C’était donc en 1979, dans les pages de la petite revue Super Action qui, dans le sillage de la série TV Wonder Woman (avec Lynda Carter), entreprenait de publier les aventures en BD de l’amazone. Jusque-là elle était publiée en France de façon très parcellaire et apparaissait surtout dans les aventures de la Justice League où elle était surtout un personnage secondaire, au regard de ses pouvoirs et de la place qu’elle aurait dû occuper.
Et donc je me lance dans la lecture de Super Action, qui traduit tout un arc où Wonder Woman, après avoir longtemps perdu ses pouvoirs, vient de les retrouver et doit passer une batterie de tests pour prouver qu’elle peut rejoindre les rangs de la Justice League. C’est un peu une variation des 12 travaux d’Hercule, avec à chaque nouvel épisode un nouveau test, supervisé par un membre différent de la ligue. Et là ça a fait « tilt ». Même en admettant que Wonder Woman ne soit pas l’égale de Superman mais vienne juste derrière en termes de puissance, cela en faisait l’une des personnes les plus puissantes sur Terre. Pourquoi serait-elle obligée de passer un test pour prouver qu’elle était « digne » alors qu’un type comme Green Arrow était dans la ligue ? Et qu’à chaque fois que Superman ou Batman avaient quitté la ligue puis y étaient revenus ils n’avaient passé aucun test ? Hein. Pourquoi ? Qu’est-ce qui la distinguait à part son se… han nan ça ne pouvait pas être ça quand même ? Si ?
Fin janvier 2019 : Je rentre du Festival International de la BD d’Angoulême via un BlaBlaCar (ça m’évitait de faire un crochet par Paris pour rentrer chez moi, dans la région lyonnaise). A mi-chemin, dans la soirée, on s’arrête pour récupérer une autre voyageuse, qui monte à l’arrière.
Et dans la discussion voilà que la jeune femme m’explique qu’elle est passionnée de comics et de cosplay. Et à mesure qu’elle me parle je me rends compte que je la connais, que je l’ai déjà croisé en festival et que je l’ai déjà photographié pour un reportage de Comic Box. On s’est déjà vaguement parlé sans se connaître. Forcément, dans la pénombre et sans les costumes extravagants je n’avais pas fait le rapprochement. Je lui explique. La cosplayeuse, Stach, utilise son téléphone pour aller voir sur le site de Comic Box et… s’aperçoit que je ne lui raconte pas des conneries, que le monde est petit et qu’on a plein d’amis en commun. Là-dessus, la discussion s’oriente sur les comics (au grand désespoir des autres occupants de la voiture qui n’avaient pas signé pour être emprisonné plusieurs heures avec des forcenés de super-héros. Stach me parle de façon très touchante, très émouvante, de sa relation avec le personnage Captain Marvel. A l’époque le magazine Comic Box n’existe déjà plus mais on est à quelques semaines de la sortie du film Captain Marvel et je me dis « tiens, si on avait toujours le magazine, voilà une personne qu’il aurait fait bon interviewer »…
Février 2019 : Deux semaines plus tard, je m’occupe du Forum Comics de Paris Manga où j’ai convié, entre autres personnes, la chercheuse Mélanie Boissonneau à venir donner une conférence d’une demi-heure. J’ai déjà croisé Mélanie en colloque et je connais son intérêt pour des figures telles que Wonder Woman ou Jessica Jones. Et c’est justement sur cette dernière qu’elle nous fait une super intervention ce jour-là. Mais vous allez me dire aucun rapport avec le FIBD et Blablacar…
Avril 2019 : Je suis au Festival Super-Héros, à Labège, près de Toulouse. Et j’assiste à une interview de Chris Claremont, le scénariste emblématique des X-Men, qui tourne mal. Les réponses de Claremont sont super, elles valent de l’or. Mais je vois qu’en face les gens s’en moquent un peu et passent à côté du contenu. Ils ne comprennent pas de quoi il parle. Alors que Claremont évoque des choses super intéressantes sur le contexte sociétal de ses épisodes de ses X-Men. Je ne suis pas sûr de mon coup mais je crois bien qu’à un moment ils arrêtent même de filmer pendant les réponses qui ne les intéressent pas. Claremont me lance un regard exaspéré façon « on est deux, toi et moi, à comprendre de quoi je parle dans cette pièce ». Et moi je me dis « Mais merde, tout ça, toutes ces réponses ça va partir à la poubelle. Ça va être perdu !!! ». Et j’ai un réflexe de frustration que beaucoup comprendront. Je commence à me dire « moi à leur place j’aurais filmé ci, filmé ça et y avait de quoi démarrer… un documentaire ». Et en quelques minutes le mode « yakafokon » bascule vers autre chose. Au lieu de me dire « j’aurais fait ça », je vois comment le faire, comment organiser le truc, le concrétiser…
En voyant devant moi tout ce qu’il ne faut pas faire, c’est un peu comme si un cahier des charges se mettait en place. Oh shit. Je sais comment faire et j’ai le carnet d’adresses qui va avec.
Dans le même week-end j’avise le réalisateur Frédéric Ralière, qui s’occupe de filmer le festival pour l’organisateur et je lui explique mon idée. On tombe d’accord pour bosser ensemble sur un projet de documentaire. Seulement voilà, il nous manque encore le thème et l’angle. Parmi les sujets potentiels il y a, clairement, les super-héroïnes mais à l’époque je suis déjà en train de travailler sur un projet de livre en deux tomes sur les super-héroïnes. Et je ne vois pas comment je pourrais l’aborder en docu sans faire double emploi. Du coup il est sur la pile des sujets possibles mais ne s’impose pas encore. Au fil des discussions, on décide avec Fred de voir un peu ce que les prochains festivals nous amènent. De toute façon, on est au tout début du processus, on décide qu’on va faire quelques interviews pour se faire la main, prochain arrêt…
Octobre 2019 : Fred et moi sommes à l’édition d’automne de Paris Manga où nous avons prévu de faire quelques interviews « pour voir », pour « tester les eaux ». Parmi les invités, il y a la dessinatrice Nicola Scott, connue pour son travail sur Wonder Woman. Et à un moment elle me parle de comment sa passion pour Wonder Woman est apparue quand elle était gamine… et c’est là que le déclic commence à se faire. Et si… on faisait non pas un listage d’héroïnes mais un truc sur la relation que les gens entretiennent avec ces héroïnes. C’est à dire pas seulement l’histoire chronologique mais aussi, un peu façon « oral history », comment elles/ils les ont découvertes et pourquoi elles comptent ? Un deuxième invité passe devant notre caméra et, spontanément dans ses réponses commence à nous parler lui aussi de Wonder Woman alors que je n’avais pas évoqué le perso et qu’il n’est pas connu pour avoir travaillé dessus. Et on comprend très bien ce qui est en train de se passer. En rangeant son matériel Fred me glisse « ah espèce de salaud, tu avais bien préparé ton coup, tu savais ce qu’il allait dire… ». En fait non. Mais là d’un seul coup, à nouveau, un déclic. Vous savez un peu comme à la fin d’Usual Suspects, quand le flic se retourne vers son bureau et que d’un seul coup tout prend sens.
Oh bon sang : mais attends… Et si on réunissait Nicola Scott, Chris Claremont, Mélanie Boissonneau et la cosplayeuse de janvier. Et si ce n’était pas seulement un assemblage de gens que je connais, si on rajoutait des gens hors de ma zone de confort, à qui je n’ai jamais vraiment adressé la parole mais qui seraient pertinents… Toute une trame s’assemble. Il y aurait des gens qui seraient des pros reconnus, d’autres en devenir, d’autres qui seraient des fans ou des spectateurs. Il y aurait principalement des femmes (ça me parait la moindre des choses) mais « pas que », parce que, pour de bonnes ou de mauvaises raisons les héroïnes ont souvent été écrites par des hommes et que ça a eu un impact sur leur évolution. Et puis il a aussi des hommes qui sont amateurs de Catwoman ou de Wonder Woman, quelques auteurs militants. Tout ca ferait… un documentaire choupinet sur les super-héroïnes !
Mais bon. Peut-être qu’on est en train de s’emballer. Ce n’est pas parce que deux interviews s’enchainent bien que… Alors on décide de pousser un peu dans ce sens. Quelques jours plus tard, nous sommes à la Comic Con Paris. On s’isole avec un troisième artiste qui nous amène lui aussi plein de choses, pour le coup pas liées à Wonder Woman mais complémentaires et militantes. Et là on sait qu’on y est. Il n’y a plus moyen de reculer. A la même Comic Con Fred fait la connaissance d’une autre cosplayeuse de Captain Marvel, très complémentaire de celle que je connais déjà. Alors je rentre chez moi, j’écris un joli dossier de présentation d’une vingtaine de pages sur le pourquoi/comment nous voulons le faire, comment on le voit, avec une première liste potentielle de guests et un fil directeur. J’ai cette vista d’un truc qui serait un peu comme les docus à l’américaine (dans la limite de nos moyens), façon « Toys that made us » (pas une copie, hein, mais quelque chose qui irait dans le même genre de narration). Et j’envoie ça en premier à David Frécinaux, ancien producteur de Plus ou Moins Geek, avec qui on avait déjà parlé de travailler sur des sujets en commun. Ah non, avant de lui envoyer il reste encore à trouver un titre de travail. Alors, m’inspirant d’un arc célèbre de Superman, « Reign of the Supermen », j’écris « le Règne des Super-Héroïnes », en me disant que c’est un peu private joke et qu’il sera toujours temps de trouver un titre plus « mainstream » plus tard.
J’ajoute « projet de documentaire en 52 minutes » et j’envoie ça à David. Lequel David me prévient qu’il est pas mal occupé et qu’il est possible qu’il ne puisse pas me répondre avant plusieurs semaines. Au début je ne prends pas ça comme une franche adhésion mais comme je le connais un peu je me dis que si ça cloche il pourra au moins me dire pourquoi. Je m’attends à ne pas en réentendre parler avant quelques semaines, donc. Sauf que non. Ça ne prend pas des semaines. Quelques jours plus tard, je sors d’un restau où on vient de me donner le feu vert pour co-écrire un guide encyclopédique sur Gotham, je rallume le téléphone et je trouve son message : il est carrément intéressé et motivé (ça et le guide, quelle soirée !). Nous avons un producteur et une productrice puisqu’il y a David et Mylène Baradel). Le temps de reconfigurer quelques trucs mineurs dans le dossier, il me prévient qu’il va nous prendre des rendez-vous avec diverses chaines de télévision et qu’on va voir si elles sont intéressées. Sauf…
Sauf que vous ne trouvez pas que tout ça se passe un peu trop facilement ? On arrive à décembre 2019 et une vague de grèves dans les transports. Nos rendez-vous sont reportés à janvier 2020. En janvier les grèves bloquent encore Paris mais enfin bon à un moment faut y aller et on se débrouille dans des circonstances rocambolesques pour aller à Paris et commencer tant bien que mal les rendez-vous. Et, surprise, tout le monde trouve le sujet super-intéressant. Y compris une grosse chaîne qui trouverait ça trop cool qu’on transforme le truc en suivant des cosplayeuses qui veulent devenir super-héroïne, façon Real TV « présentable », bref le truc crétin que je veux éviter depuis le début. Beurk, heureusement avec eux on ne va pas plus loin. On pousse aussi la porte de Toonami. Et là pour autant que je me souvienne, ça se passe immédiatement très bien. Les uns ont des questions les autres ont des réponses et inversement. Et vers la fin de la réunion, quand on se lève pour partir, j’hasarde un « ah oui, pour le titre, « le Règne des Super-Héroïnes », c’est un titre de travail, évidement qu’on peut trouver un autre nom si besoin est ». Et là le Directeur de la Création du groupe me regarde et me dit « ben non voyons, c’est cool, ça fait un clin d’œil au Règne des Supermen, on le garde ». Et ç’est à ce moment-là que j’ai su qu’on était entre de bonnes mains… Mais bon, il faut quelques semaines pour que les grands groupes se décident, valident les choses et… finalement on a le feu vert au printemps. Sauf que…
Sauf que vous ne trouvez pas que tout ça se passe un peu trop facilement ? Ben si voyons ! 2020 ? Le printemps 2020 ? Vous y êtes ? La signature du contrat avec Toonami coïncide avec le premier confinement et la circulation du COVID en Europe. Nous voilà coincés chez nous. Je commence à prendre contact avec certains des américain(e)s qu’on voudrait interviewer. Certains ne répondent pas (et dans les circonstances qu’on sait je ne leur lance pas la pierre). D’autres répondent oui et sont même très intéressés… mais les USA se transforment en patacaisse gigantesque. Il n’y a pas que les confinements et la COVID chez eux. En l’espace de quelques mois il y aussi les émeutes anti/pro Black Lives Matter, les remous des élections proches et même certains incendies géants qui provoquent l’évacuation partielle de certains états
Une autrice qui m’avait dit oui est obligée de me dire non la veille du tournage parce que son éditeur n’est pas sûr que son assurance marche si elle chope la COVID pendant l’interview. Une autre m’avait dit oui mais ne reçoit plus mes messages, qui tombent dans les spams de son ancien téléphone, pas du nouveau (elle ne les trouvera qu’après la fin du tournage). Une autre est super ok pour participer mais elle n’habite pas du tout dans les zones où il nous est possible de tourner. Une autre me dit oui, est même une supporter enthousiaste du projet mais, pareil, un jour avant le tournage elle est obligée de faire marche arrière car sa mère vient de tomber gravement malade. Il y a toutes les chances que si vous pensez à un auteur ou une autrice emblématique des super-héroïnes absente de la distribution du documentaire final il/elle fasse partie des gens qu’on a contacté en amont. Avec certain(e)s on a causé des mois avant d’être obligé de renoncer. Et à chaque fois il faut réinventer la poudre, parfois à quelques heures du tournage. Quelque part là-dedans il y a le lumineux Chris Claremont, comme une sorte de revanche sur la fameuse interview qui nous aura mis le pied à l’étrier. Il est filmé chez lui, à Brooklyn. Il est magique et c’est une machine qu’on ne peut pas arrêter. L’interview « uncut » le concernant doit durer une heure et demie à elle seule. On s’est payé une belle tranche de rire avec lui. Tu te retrouves à partager un fou rire avec Claremont. Le truc de dingue.
Août 2020 : La Covid et les confinements connaissent une forme « d’éclaircie ». On a encore le droit de se déplacer entre pays en respectant quelques règles sanitaires alors, avec Fred et un autre membre de l’équipe, Quentin, on entame un périple qui va nous entraîner en l’espace de quelques jours de Toulouse à Rome pour filmer plusieurs interviews de dessinatrices qui travaillent sur des projets très différents. Là, le truc prend des allures surréalistes. Imaginez ça comme un gigantesque épisode de « Bref ».
Le premier soir du périple, quand on s’arrête à l’hôtel étape prévu, que notre bien aimé production nous a réservé en se basant sur la description sur Internet. En fait on arrive dans une ambiance bizarre, l’hôtel semble fermé et c’est une femme de chambre (elle se présente comme ça) un peu dépenaillée avec un fort accent étranger qui nous reçoit et nous montre les chambres, pas très propres. Au réveil, le matin, on va prendre le petit déjeuner dans la « partie restaurant ». Et on découvre qu’on est dans une grande salle avec des tentures rouges et plein de « femmes de chambre » étrangères. Vu le décorum, la non-propreté des chambres, leur air fatigué, on comprend très vite qu’elles ne sont pas vraiment « femmes de ménage ». Ce n’est pas vraiment l’ambiance qu’on imaginait. On fini notre café et on part. Je ne peux même pas vous raconter tout le resre dy voyage, peu de gens le croiraient tellement ça ressemble à un scénar de film façon Very Bad Trip. On aurait dû filmer un « making of », parce que personne ne nous croirait.
On arrive tant bien que mal à Rome. Sauf que… Sauf que vous ne trouvez pas que tout ça se passe un peu trop facilement ? Ben si voyons, on est dans une canicule du mois d’août. On quitte la France à 30°, on arrive à Rome quelques heures plus tard avec 10° de plus, la voiture qui commence à lâcher, qui en verra des vertes et des pas mûres, qui refuse d’avancer par moment, y compris sur l’autoroute. Avec tout le matos à l’intérieur. Mais finalement ça passe.
Une de nos charmantes intervenantes a accepté de participer mais à condition qu’on soit en tenue anti-COVID de la tête aux pieds, pieds y compris. Nos chaussures ne doivent pas être en contact avec le sol de l’appartement. Sauf qu’en temps de COVID impossible de trouver des protections pour chaussures. Alors Fred nous a trouvé des « Charlottes » en plus. On a nos masques, des charlottes sur la tête, des blouses blanches, des gants, et des charlottes aux pieds en guise de protège-chaussures. En plein été. Fred appelle ça le « tournage les Experts ». Manque effectivement que la musique « who are yooouuu… ». Mais enfin, quand même, à un moment je comprends que ça marche. Notre invitée m’explique que c’est agréable pour une fois d’avoir affaire à une équipe qui comprend ce qu’elle dit parce qu’elle voit qu’on sourit quand elle fait certaines allusions à des personnages. Et moi je lui demande comment elle voit si on sourit avec tout ce qu’on porte. Et elle me dit « ah mais je vois vos yeux se plisser, donc je comprends que vous souriez sous le masque ».
C’est pendant ce voyage que je commence à comprendre le nombre de gens qu’on entraine dans notre délire. Parce que, oui, il y a les gens directement concernés (Fred, moi, les producteurs, les gens de Toonami, les invité(e)s.…) mais aussi plein d’autres personnes qui viennent se greffer en plus. Ça veut dire des collaborateurs de la prod qui viennent en renfort, pour filmer avec nous, mais aussi des amis ou des parents des personnes interviewées. Par exemple à Rome, la maison de notre invitée est en travaux. Alors on est obligé d’investir en quelques dizaines de minutes la maison de sa voisine et de la redécorer en conséquence. Ailleurs, l’artiste n’a pas vraiment compris qu’on voulait filmer chez elle. Alors du coup on est obligé d’improviser un décor dans le sous-sol d’un caviste. Ailleurs, encore, la maison de l’interviewée ne vas pas, au niveau lumière. On est obligé d’aller chez ses beaux-parents et de redécorer leur salon en conséquence. Sauf que là-bas il y a un kéké qui passe à mobylette toutes les vingt minutes. On sera obligé de refaire les prises plusieurs fois. Et à chaque fois il y a des amis, des maris, des épouses, de la famille qu’on dérange et qui se retrouvent malgré eux à participer au projet. Et puis là aussi il y a des guests potentiel(le)s qui ne peuvent pas, qui peuvent plus, qui n’avaient pas compris que c’était cette semaine et pas la suivante. Quelque part en cours de route, alors qu’on passait devant un panneau indiquant Parme, le projet a reçu son nom de code. Ce sera « Parmesan ». Et au retour on a commencé à diffuser nos photos devant Cinecitta ou le Colisée en sachant très bien que personne ne risque de deviner le thème.
De retour en France, on a trouvé l’essentiel des cosplayeuses qu’on veut pour le documentaire. Nos Captain Marvel mais aussi une Supergirl, une Wonder Woman. Sauf que pareil, à l’approche de la fin 2020, au moment de la filmer, ce n’est plus possible pour elle. Alors on va trouver une autre par un jeu de bouche à oreille. A chaque fois que j’intègre une cosplayeuse (y compris celles qu’on connaît déjà) je prends la peine de discuter au téléphone avec elle, de lui expliquer que pour nous il ne s’agit pas du tout de faire du reportage comme on en voit trop (avec gros plan sur les culottes) ou de les ridiculiser. A chaque fois on l’a joué positif et en toute transparence. Et ça a payé parce qu’en retour on avait aussi de l’énergie positive. Et finalement on termine à Paris à filmer nos dernières cosplayeuses ou Simon Astier dans une ambiance particulière, le week-end avant Noël, sur fond de couvre-feu et de restrictions de déplacement. Comme il y a le couvre-feu, on est obligé de finir plus tôt, on n’aura pas le temps de filmer la cosplayeuse en costume de Witchblade (et que les mauvais esprits qui disent, au fond, que Witchblade elle pas de costume et que ça aurait dû se faire vite la ferment, c’est un truc autrement plus compliqué à mettre en place). Paf. La Covid aura eu raison de la présence de Witchblade dans le docu.
Janvier 2021, on termine en beauté par l’interview incontournable et nécessaire de Trina Robbins, filmée à San Francisco. Maintenant qu’on a tout en boite, je commence à reconstituer la structure du docu à partir de cette matière première. Ça prend des semaines. Le principe c’est de tout mettre dans l’ordre et de retirer petit à petit tout ce qui est disgression ou redondant. Laisser quelques trucs qui permettent de respirer un peu, de souffler dans la masse d’infos. Sauf que…
Sauf que, non, sérieux, vous ne trouvez pas que tout ça se passe un peu trop facilement ? Hein ? Hé bien à un moment je n’y arrive plus. J’ai enlevé tout ce que je pouvais… et il en reste encore énormément. Beaucoup trop pour un 52 minutes. Alors oui on pourrait redescendre à moins d’une heure mais dans ce qu’il faudrait couper il y a des choses sympas que ça m’enquiquinerait de jeter. Je repense au festival de Labège et les gars qui « gâchaient » les réponses que Claremont leur donnait. Après avoir fait tout ça, je n’ai pas envie de gâcher, si je peux l’éviter. Alors à un moment me vient une idée folle. Rien à perdre alors je prends mon téléphone et je demande : « euh… mais en fait si on faisait plus long qu’un 52 minutes, ils ne seraient pas d’accord la chaine ? ». Et en fait après quelques discussions (mais finalement moins que j’aurais cru) tout le monde est d’accord. Et ce n’est pas rien. Parce que ce ne sont pas toutes les chaînes qui accepteraient qu’on bouscule ainsi le cahier des charges pour le « bien du projet ». On est « surclassé » et le documentaire passe à… 1h20. Ce qui fait d’ailleurs que rétrospectivement si certains guests n’avaient pas annulé, je me demande où on les aurait casés… Et puis y a Fred à qui j’ai dit un jour, au feeling, qu’on pouvait faire un documentaire, qui m’a dit OK sans trop savoir où j’allais l’amener, que j’ai trainé à l’étranger, dans des villes qu’il ne connaissait pas, qui doit de demander des fois si je ne lui mens pas quand je l’appelle en lui disant « ah au fait c’est plus un 52 minutes mais un format d’1h20. Comment ça je plaisante ? Euh non, je te jure ».
A un moment la partie montage à proprement parler passe donc dans les mains expertes de Fred. Et ça se transforme en bouquets d’emails entre nous et David pour retirer ci, ajouter ça, muscler ceci. A en perdre le sommeil. Pendant à nouveau des semaines je vois le documentaire prendre forme sur mon écran d’ordinateur. Des scènes apparaître ou disparaître selon qu’elles collent ou ne collent plus. Et puis vers la fin, quand on a la version avec les couleurs étalonnées, les voix posées, je le passe machinalement sur ma télévision, « pour le voir en grand ». Et là je me le prends en pleine poire. Parce que les couleurs réhaussées, le son, tout rend mieux que sur mon petit portable, forcément. Et j’ai devant moi un documentaire qui, à vraiment peu de choses près ressemble à ce qu’on s’était fixé en se disant « on va tendre vers cette direction mais on n’y arrivera pas». Il n’est pas parfait. On l’a fait avec des bouts de ficelle, de la débrouille, de l’improvisation pour résister à toutes les merdes, aux pandémies et même aux kékés qui passent à moto toutes les vingt minutes… Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, parait-il.
Au final, un projet comme ça c’est la voie rêvée pour les trolls et les inspecteurs des travaux finis qui vont s’en donner à cœur joie avec la wishlist des guests absents, façon « ouin pourquoi ma copine elle n’est pas dedans », ou des persos à peine mentionnés « ouin y a pas Witchblade, ouin y a pas untel… ». Je pourrais faire un documentaire entièrement différent rien qu’en réunissant les gens contactés qui étaient ok sur le principe mais qui ne pouvaient pas, dans cette année apocalyptique. J’aurais adoré filmer Marguerite Sauvage ou Yanick Paquette (et pas qu’eux) mais ce n’était pas trop possible dans de bonnes conditions. J’aurais adoré empiler 60 noms de plus mais ça reviendrait à diviser le temps de parole de tout le monde. Et inversement les gens qui en sont ne sont pas « ceux qu’on a pris seulement parce qu’ils étaient dispos et qu’on voulait remplir ». Et peut-être, juste peut-être qu’il est bien aussi, de ne pas prendre que des « noms attendus » pour multiplier les points de vue.
Je pense qu’à un certain égard certain(e)s de nos guests étaient un peu comme Fred me disant oui sur le principe mais sans savoir dans quel engrenage elles/ils mettaient le doigt. Elles/ils l’ont fait par gentillesse. Certain(e)s s’attendant sans doute à un reportage à la bonne franquette. Et comme je les tenais au courant dans les mois suivants, que je leur annonçais qu’on avait tel guest ou tel autre atout, qu’on s’était démerdé pour tourner dans tel endroit, ils ont dû se demander un peu si on n’était pas surtout mytho et n’ont réalisé qu’au moment de la première bande-annonce que, merde, c’était de ça dont on parlait depuis le début. Je pense qu’en face, chez Toonami, je pense qu’ils ont été surpris par la teneur du casting quand ils ont vu arriver les premières moutures du montage. A ce moment-là, une ou deux personnes m’ont demandé où j’avais trouvé ces intervenant(e)s.
J’ai commencé par répondre « Dans un Blablacar ». Personne ne m’a cru.
J’espère que le documentaire sera aussi passionnant que cet article sur sa fabrication. Une seule chose me chiffonne, il n’y aura pas Witchb… non sérieusement : la diffusion ! Seulement sur Toonami ? Une possibilité de le voir ailleurs ? en ligne ?
C’est bel et bien sur Toonami. Mais Toonami est dispo sur pas mal de bouquets de box ou encore sur l’appli Molotov TV.
Bravo pour le documentaire. 🙂
Je viens de le regarder et je me suis régalé. C’est passionnant du début à la fin. Presque trop court.
Du coup, pour continuer un peu plus l’aventure, je tombe ici pour assister au parcours et la folie qui accompagne un tel boulot.
Encore bravo et surtout merci ! 🙂