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Looker, l’intégrale

David Fakrikian, ex-rédacteur-en-chef de DVDvision, vient de lancer le financement participatif d’un projet d’une réédition qui va vous intéresser si vous aimez, en vrac, Chapeau Melon et Bottes de Cuir, Alan Moore, Mad Max, Frank Miller, Un Flic dans la Mafia, le cinéma de John Woo (avant qu’il arrive à Hollywood), Marshal Law, American Flagg et plein d’autres choses foisonnantes du même acabit. Et la page de la campagne se trouve ICI : https://tinyurl.com/2d7f4kp5

Bon alors faut que je vous raconte le dessous des choses… Les années 80 (c’était juste avant le Soulèvement des Machines). On cherchait nos numéros de téléphone sur un Minitel, Charles Pasqua était Ministre de l’Intérieur et organisait des expos pour « montrer » les choses qu’il espérait censurer. Quelque part là-dedans, avec un cousin lui aussi amateur de comics, on est dans nos dernières années d’études. On a fait quelques virées à l’étranger, lus quelques comics en VO et découvert que c’était le Graal comparé aux traductions françaises tronquées, censurées. On arrive finalement à trouver l’adresse de ce qui était alors le seul semblant de comic-shop de la région lyonnaise et ca devient pendant quelques années notre Q.G. de prédilection. Et puis dans cette boutique il y a une sorte de feuille de chou, un listing des sorties à venir de comics qu’un type rédige sur un ton parfois keupon, souvent énervé, jamais routinier, comme s’il était sous amphet’.

Un jour on fini par croiser le mystérieux rédacteur, un certain David, un type qui a à peu près notre âge et qui devient vendeur à la boutique. Dire qu’on a fait les 400 coups ensemble ou alors il faut le prendre comme un résumé : On a fait les 400 coups par heure, plutôt. On achète ensemble les premiers numéros de Watchmen tandis que le reste de la boutique dit « bof, non, c’est pas des persos connus » (et va racheter à prix d’or les mêmes numéros quatre mois plus tard, une fois que la presse s’emballe). On s’éclate ensemble en visionnant Objectif Nul ou la série Sledge Hammer. Et puis on apprend que David a lancé un fanzine, un truc qui s’appelle Looker. David a mis dans un seul fanzine tout ce qui l’intéressait. Il y a des groupes rock, punk, il y a des dossiers sur des auteurs de comics ou des réalisateurs en devenir. Ca donne des soirées interminables, qu’on appelle des « prolongations » où une demi-douzaine de clients de la boutique s’enferment dans le local pour discuter des mérites comparés de Terminator ou Miracleman. Un peu comme des podcasts de furieux mais sans le podcast. On a tous été biberonnés à coup de Métal Hurlant, Mad Movies, Starfix ou Spécial USA. On a regardé l’Impeccable puis Sex Machine, cherché les groupes rock régionaux que Jan-Lou Janeir passait dans Décibel.…

David sort trois numéros de son fanzine « multimédia » (ce qui n’est pas si courant à l’époque) et à un moment on se retrouve même colocs dans le même appart. Pour la petite histoire David tape sur ma machine à écrire (hé oui, jeune, c’était avant les ordis) une partie du Scarce n°14 et fait une prémaquette de la couverture sur ma table à dessin (ça, au passage, c’est pour les cons qui parfois racontaient des années plus tard que les gens de Comic Box pouvaient pas voir Scarce, un numéro de Scarce s’est en partie fait chez moi qu’eux ne savaient pas lire).

Moi à l’époque j’ai un projet de fanzine que je ne mènerai jamais à bout, des articles prêts et prémaquettés sur Hellblazer et surtout sur American Flagg. Alors David me propose de les intégrer à un futur numéro 4… qui restera en plan lui aussi parce que le dit-David trouve un boulot de vendeur de comics sur Paris et passe à autre chose. En tout cas pour un temps parce que par la suite il va revenir à l’écriture en traduisant plusieurs albums de Miller (entre autres) pour USA Editions. Pour la petite histoire il arrive à mettre sur pied une version resté unique de Daredevil Born Again, avec des pages du prologue ramenées dans l’album et même quelques planches retouchées par Mazzucchelli. Et David continue en participant à USA Magazine, en lançant le magazine DVDvision, en écrivant dans Mad, Rock & Folk ou Première, signant plus récemment le livre « James Cameron, l’odyssée d’un cinéaste » (en gros qui prétend parler de Cameron sans citer ce bouquin n’a pas assez potassé le sujet… ou bien repompé le livre sans vouloir le reconnaître).

Fin 1992 David est obligé de laisser tomber sa chronique dans USA Magazine et, sachant très bien ce que j’écris, propose au boss que je prenne la suite. Avant que ça pleure sur le « copinage », précisons qu’à l’époque le rédacteur, lui, ne me connait pas du tout, n’a pas de raison de me faire de cadeau, qu’on va bosser par échange de disquettes (ah oui, les disquettes…) et que je ne rencontrerais vraiment Fershid Bharucha que plusieurs années plus tard. Bref Fershid n’en a rien à foutre qu’on se connaisse, David et moi, lui ce qui l’intéresse c’est le texte. Et donc on me garde. Je me retrouve journaliste « comics » comme ça, sans savoir dans quel engrenage je mets le doigt. Ca me donne l’envie d’écrire un bouquin sur la mythologie des super-héros, une sorte de psychologie par l’absurde. Alors je l’écris quelques années plus tard. Et puis forcément je file un des tapuscrits à David pour qu’il me dise ce qu’il en pense. Il se trouve qu’il vient de vendre quelques piges à un magazine qui se monte, un truc nommé Comic Box, pour lequel le rédacteur cherche pour la dernière page un truc marrant qui parlerait de façon décalée des super-héros. Alors il me les présente et le sort, comme on dit, en est jeté. Après avoir raccroché d’un premier coup de téléphone avec Fabrice Sapolsky, je lui ai déjà fourgué trois articles de plus de prévu et il est possible que par la suite j’ai un peu cannibalisé le magazine… et qu’en gros les ouvrages ou projets que j’ai pu mener par la suite portent un peu la trace de ces rencontres. Ils en sont la continuation.

Si je ne fais pas ces articles jamais parus (jusqu’ici) sur Hellblazer et American Flagg, si je ne les montre pas à David pour qu’il regarde s’il les utilise dans son Looker n°4 (resté inédit à ce jour), il n’a pas de raison particulière de jouer les intermédiaires avec USA Magazine ou Comic Box. Sans que je le sache à l’époque, c’est un peu ma carrière qui se joue sur ces deux articles. Et là, je ne vous parle que de mes propres fesses mais David, avec DVDvision, va fonder un titre culte pour pas mal de monde (malgré quelques tentatives d’imitations qui ne feront pas long feu) dont Looker est pour ainsi dire le prototype mais aussi, dans la foulée, le résumée d’années où le cinéma de Hong Kong se télescopait avec Elektra Assassin et Dead Kennedys…

Bref, quelques mois en arrière le dénommé David me dit qu’il a toujours les maquettes de Looker et qu’il a décidé de rééditer le tout « dans son jus », c’est à dire les vraies pages de l’époque, avec leur lot de tipex et de ratures, ce qui se disait sur Dark Knight ou sur Alan Moore avant Watchmen. Une vraie capsule temporelle, culturelle, sur ce qui se produisait en contre-culture à la fin des années 80. Moi je lui réponds un truc du genre « ah ouais, cool, les trois numéros regroupés dans un seul volume, super… ». Et là il m’arrête en me disant « non, ce sera une vraie intégrale, je vais mettre les QUATRE numéros, y compris celui jamais sorti. Sauf si ça te dérange que j’utilise tes papiers sur Hellblazer ou American Flagg ? ». Et donc en gros 32 ou 33 ans plus tard les premiers articles que j’ai écris (enfin pas moi, un Xavier Fournier de 21 ans) sur les comics vont finalement paraître. Mais ce n’est pas pour deux articles de mon jeune alter-ego que vous allez vous ruez là-dessus, ni même, sans doute pour quatre numéros d’un fanzine dont vous n’avez peut-être pas entendu parler. Non. Vous allez y aller parce que c’est toute une époque, dans son jus, un instantané (ou un instant tanné, ça marche aussi) de la pop culture de l’époque. Où elle était à ce moment-là et comment on la voyait, comment on l’imaginait (à tord ou à raison) évoluer à partir de là.

Plus de trente ans plus tard, mes premiers articles vont finalement paraître (si la campagne arrive à son objectif). Je ne les ai pas relus depuis, ils sont probablement plein d’horreur et sans doute que le Xavier Fournier de 2021, s’il avait celui de 1988 comme stagiaire lui dirait « bon, tu me les refaits, ça tient pas la route« . Mais enfin ca existe. Ironie du truc, il se trouve que pendant tout ce temps American Flagg n’avait pas trouvé d’éditeur VF et que la BD d’Howard Chaykin va finalement sortir en France à la fin de l’année. Ou comment paraître avec trente ans de retard mais finalement tomber à pic…

Allez, je vous replace le lien : https://tinyurl.com/2d7f4kp5

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