Un flic dans la Mafia

Assez régulièrement on tombe sur un article qui, loi du genre oblige, tente de nous prouver « qu’avant », il n’y avait pas de bonnes séries télévisées, ou en tout cas qu’elles n’avaient rien d’élaboré, que l’écriture n’avait rien de complexe et ainsi de suite. Par générations de « dossiers » on vient donc nous expliquer qu’avant Game of Thrones, ou qu’avant Dexter il n’y avait rien… Remontez quelques années en arrière et vous trouverez les mêmes articles vous disant qu’avant Lost, 24 ou les Sopranos… Ha, mais non, remontez encore et vous les retrouverez parlant de X-Files, de Twin Peaks… Il y a un nom qui revient moins, sans doute parce que maintenant c’est trop vieux et que ça ne se fait pas, que ce n’est pas assez branchouille de parler d’une série policière vieille de 25 ans… Mais avant ces séries-là, il y avait un feuilleton hautement addictif qui vous scotchait une fois par semaine devant le petit écran. Je ne vais pas tomber dans le piège grossier de vous dire qu’avant « Un Flic dans la Mafia » (« Wiseguy » en VO, diffusée en 1987 et 1990 sur CBS aux US, sur C+ puis sur TF1 en France) il n’y avait rien. Chaque époque, chaque génération, a su trouver sa dose de suspense à sa manière. Mais cette série-là, c’est un jalon.

Déjà, 4 saisons (totalisant 73 épisodes) ça ne se trouve pas sous le sabot d’un cheval, en particulier à l’époque. Mais surtout il y a le jeu « clair-obscur » de la série, où les limites sont totalement floues et les situations régulièrement inversées. Homeland te plais, jeune, parce que tu aime te demander de quel côté sont les héros et s’ils ne vont pas basculer ? Alors il te faut te ruer sur les aventures de Vincent « Vinnie » Terranova (Ken Wahl), agent infiltré (dans la mafia, comme le titre français te l’aurais si bien claironné). Le truc c’est que, bien sûr, Vinnie Terranova risque la mort s’il est démasqué. Mais en plus sa famille elle-même n’est pas au courant de la supercherie. Il est donc copieusement méprisé par les siens, qui le prennent pour une crapule. Et inversement la mafia lui ouvre grand les bras, il est traité comme un frère. Donc à un moment il ne sait plus trop où il habite le Vinnie, où est le bien, où est le mal. Heureusement qu’il a deux figures paternelles pour le recadrer : son superieur Frank McPike (Jonathan Banks, en général abonné aux personnagées de méchants ou de supérieurs autoritaire, d’ailleurs jeune, tu as pu l’apercevoir dans Dexter) et « l’Oncle Mike » (Jim Byrnes). En 2010, je suis dans les couloirs du Comic Con’ France et je croise de loin l’acteur Jim Byrnes. Plein de gens me disent « ah tiens il est sympa le type qui joue le Guetteur dans Highlander« . Alors que, bon, pour quiconque a vu Un Flic dans la Mafia ce type est avant tout l’Oncle Mike, l’agent de liaison de Terranova, le type qui est toujours derrière le téléphone près à l’aider (une sorte de version barbue d’Oracle, pour parler la langue des comics). Seulement à un moment Vinnie doit se résoudre à balancer Sonny Steelgrave, le type qui lui faisait le plus confiance et doit vivre ensuite avec ça sur la conscience. Et c’est là, en un sens, que les affaires sérieuses démarrent réellement.

Parce que, bon, le flic infiltré dans la mafia classique, c’était sympa, c’était très bien fait dans le contexte de l’époque mais… ça correspondait globalement à la promesse tacite de la série. C’est à partir du moment où Vinnie termine son premier arc narratif, quand on le mute ailleurs et que les auteurs doivent se creuser la tête pour donner d’autres visages au crime organisé que « Wiseguy » donne le meilleur. Voici Vinnie sur les basques de la famille Profitt à la tête de laquelle on trouve le frère Mel (joué, excusez du peu, par un Kevin Spacey qui avait encore des cheveux). Il y aussi la soeur, la jolie Susan Profitt (Joan Severance) et le tueur Roger Lococco (William Russ)… Mais à nouveau rien n’allait tourner comme Vinnie l’espérait. Par la suite les missions vont se succèder et devenir de plus en plus tarées. Vinnie va se retrouver à enquêter dans l’industrie du textile puis dans le milieu du disque (ce qui permettra une guest feature de Deborah Harry, l’ex-chanteuse de Blondie). Tim Curry, Jerry Lewis ou Traci Lords feront aussi quelques apparitions…

Ken Wahl trainait un visage de bellâtre de plus en plus torturé. Ce type là aurait pu, à l’époque, jouer le rôle du Punisher (d’ailleurs il incarne une sorte de « vigilante » dans un téléfilm de 1986, Gladiator). Seulement quelque part dans les coulisses la torture était là. La petite histoire veut qu’il se soit blessé à la jambe pendant la deuxième saison et qu’ensuite l’alcool ait été un refuge croissant. Au fur et à mesure qu’on avance dans la série Wahl (et donc Vinnie) est remplacé plusieurs fois par d’autres enquêteurs donc seul le retour surprenant de Lococco tire son épingle du jeu. Arrivé à la quatrième saison, les producteurs tentent l’impensable : virer pour de bon l’acteur et le perso. Vinnie Terranova est abattu par la mafia et remplacé par Michael Santana (Steven Bauer) de manière abrupte. Il n’y a pas que Vinnie qui morfle, la série perd aussi son âme au niveau scénaristique… L’audimat s’effondre et la chaine CBS interrompt en urgence la saison au neuvième épisode. Reste un come-back en 1996, un téléfilm où Vinnie, qui a finalement survécu (en fait d’après ce que j’ai compris aucune allusion n’aborde sa mort supposée), reprend le travail avec McPike et l’oncle Mike. Mais il était trop tard, le moment de magie était passé…

Alors oui, je sais bien, jeune… Les dames dans ces vieux épisodes elles ont des choucroutes de cheveux sur la tête et des vestes à épaulettes. Je sais bien que Vinnie ne fait aucune allusion à son twitter et doit chercher des cabines téléphoniques pour téléphoner à Mike parce que les portables ça n’existait pas. Mais si tu veux un feuilleton où tu te dis « Non mais attends, ils partent où là ? Ils vont pas oser ?« , alors ce n’est pas compliqué. Enfin ça ne l’est plus… Pour autant que je puisse voir, Un Flic dans la Mafia n’existe pas (ou n’est plus disponible ?) en DVD. On ne trouve guère que le coffret zone 1. Mais à partir du 14 octobre 2013 à 22h15, IDF1, chaine de TNT parisienne (mais présente sur plein de bouquets internet façon Free) commence la rediffusion du feuilleton (on aura compris, donc, que dans l’éventualité où ils passeraient l’intégrale vous pouvez vous épargnez, à terme, la vision de la quatrième saison). Après, bon, tu fais comme tu veux, jeune. Tu peux faire l’impasse dessus, c’est vrai. Mais bon, tu n’auras jamais vu Wiseguy. Et du coup tu ne sauras pas, tu ne sauras jamais, quels malades sont Volchek, Walter Newquay, Knox Pooley ou les Profitt…